L’éclipse totale du Soleil nous plonge dans l’obscurité et le mystère. L’éclipse de Lune fascine autant qu’elle émerveille. Que l’on cherche ou non un sens à la taille apparemment identique des deux astres, assister à leur rencontre est une expérience inoubliable.
L’éclipse est une configuration particulière dans le mouvement de la Terre et de la Lune autour du Soleil : lorsque la Terre s’interpose devant le Soleil et recouvre la Lune de son ombre, c’est l’éclipse de Lune.
Lorsque la Lune est positionnée entre Terre et Soleil et masque le Soleil, c’est l’éclipse de Soleil. Elle pose une question vertigineuse : par quel fabuleux hasard les astres se sont-ils agencés de sorte que la Lune, 400 fois plus petite que le Soleil, se situe 400 fois plus près de la Terre et puisse ainsi l’occulter très exactement ?
On compte chaque année au minimum quatre éclipses, le maximum étant de sept. Si l’orbite de la Lune et l’axe de la Terre n’étaient pas inclinés et si leurs orbites étaient parfaitement circulaires, on verrait à chaque pleine lune une éclipse totale de Lune, et à chaque nouvelle lune une éclipse totale de Soleil… Mais où serait la poésie ?
La plus spectaculaire des éclipses, l’éclipse totale de Soleil, est un phénomène exceptionnel à l’échelle humaine : à un point donné de la Terre, elle ne s’observe qu’environ tous les 370 ans, si le temps est clair, avec une phase de totalité de deux à trois minutes, huit maximum.
Pour observer une éclipse totale au cours de son existence, il faut soit avoir énormément de chance, soit faire le voyage, parfois loin des zones habitables… Guy Paget, organisateur de voyages pour les « chasseurs d’éclipses » emmène au bout du monde depuis 15 ans les néophytes comme les passionnés, chez qui
« une forme de compétition s’installe. Certains comptent en nombre d’observations, d’autres en minutes de totalité… difficile de savoir qui détient le record ! »
Des chasseurs de mystères
Le record de durée appartient à l’équipage du Concorde qui a décollé le 30 juin 1973 pour le premier vol supersonique capable de suivre la trajectoire de l’ombre : 74 minutes de totalité ! Parmi les « ombrophiles » américains, on retient les performances de l’astronome Glenn Schneider qui en a observé 33 et de l’astrophysicien Fred Espenak, dit « Mister Eclipse », 24.
En France, on se souviendra de Pierre Bourge, fondateur de la revue Ciel et Espace, qui a fait 26 voyages, observé 19 éclipses, et réalisé en 1959 aux Canaries le premier film en couleur d’une éclipse totale. Depuis sa mort en 2013, son fils Fabrice travaille à faire connaître son héritage. Il a évidemment attrapé le virus :
« L’éclipse totale de 1999 a été ma première. Fils d’astronome, j’avais vu des milliers de photos, je savais dans le détail ce qui se passe… Et pourtant, je ne m’attendais pas à une sensation pareille. C’est le phénomène naturel le plus extraordinaire à vivre. C’est merveilleux, au sens littéral du terme. Une fois qu’on a goûté à ça… »
Son voyage vers « sa » quatrième éclipse est prévu en 2024. Mais que se passe-t-il donc pendant ces quelques minutes d’ombre, au point de rendre accro ?
Le premier contact avec l’éclipse est l’apparition du disque lunaire, sombre, qui vient grignoter peu à peu le Soleil.
Dans un grand nombre de mythologies, on y a vu la dévoration du Soleil par une force maléfique : dans les pays scandinaves ce sont deux loups affamés, au Vietnam une grenouille géante, au Paraguay et en Argentine un jaguar, en Bolivie un chien géant, en Indonésie et en Chine un énorme dragon, et à Bali le méchant Kala Rau, auquel Vishnou coupe la tête…
Guy Paget note encore de nos jours des différences culturelles suivant les pays :
« Dans certains pays africains, l’éclipse a une réputation de malheur, de mauvais présage, et beaucoup préfèrent s’enfermer. À Madagascar, si l’on ne la regarde pas, c’est par pudeur : elle est vue traditionnellement comme la rencontre érotique de la Lune et du Soleil. »
Des observations précieuses
La baisse progressive de luminosité s’accompagne d’une baisse de la température qui peut aller jusqu’à 15 degrés. Une minute avant la totalité, il arrive que des phénomènes de réfraction créent des « ombres volantes ». Soudain, un mur d’ombre se déplaçant à une vitesse supersonique enveloppe le spectateur : la Lune occulte totalement la photosphère, partie lumineuse du Soleil.
Il fait presque totalement sombre, la nature fait silence, on peut observer le phénomène à l’œil nu. Fabrice Bourge le décrit :
« Le moment de la totalité révèle un phénomène absolument spectaculaire, la couronne solaire : d’énormes filaments extrêmement brillants entourent complètement le Soleil, dans un halo d’un blanc “argentique” d’une beauté incroyable. Si on a la chance que le Soleil soit actif, on discerne aussi les protubérances des émanations d’hydrogène en fusion à la surface du Soleil, de couleur rose électrique. L’association du disque noir, de la couronne blanc brillant et des protubérances roses, c’est… juste magique. C’est une émotion unique et différente à chaque éclipse. »
Jusqu’au lancement de satellites d’observation solaire, les éclipses totales étaient pour les astronomes la meilleure occasion d’observer nettement la couronne du Soleil, qui peut s’étendre jusqu’à dix fois son diamètre. La fascination qu’elle exerce pourrait faire oublier de déplacer le regard pour observer aussi le ciel : à 360 degrés, l’horizon flamboie d’une lueur inédite.
Les étoiles sont apparues dans une configuration impossible à observer de nuit : des planètes sont visibles à l’œil nu, et l’on pourra rechercher aux jumelles une comète dans la région solaire.
En 1919 sur l’île de Principe, c’est l’instant où l’on a pu mener les observations qui ont permis de corroborer la théorie de la relativité d’Einstein. Dans la Chine antique, c’est le moment où archers et tambours redoublaient d’efforts pour effrayer le dragon…
Un éclair aveuglant signe la fin de la totalité. Applaudissements et cris se libèrent, on rechausse ses lunettes, la Lune se retire progressivement, le dragon est vaincu, astronomes et photographes encodent leurs données d’observation.
Reste une impression indicible, qui peut mettre quelque temps à se dissiper, celle de la « sidération ». Ce terme qui désigne aujourd’hui une profonde stupeur bloquant les réactions physiques qualifiait à l’origine l’influence néfaste sur la santé d’un phénomène astral, les éclipses en tête.
Le point de vue des astrologues
Bien que l’on sache prédire les éclipses avec précision depuis l’époque babylonienne, l’éclipse totale de Soleil est restée en Occident un phénomène connoté négativement. Elle réveillait encore des peurs irrationnelles en France en 1999 !
Dans les prophéties bibliques, l’obscurcissement du Soleil et la « Lune de sang » sont signe de fin des temps. Au moment de la mort du Christ, les Évangiles rapportent que « l’obscurité se fit » durant trois heures, et le débat persiste quant à savoir s’il s’agissait d’une éclipse de Soleil.
L’Église n’a pourtant pas manqué d’appeler à la raison : en prévision de l’éclipse de 1764, après la panique de 1654, il fut demandé aux curés de rappeler aux paroissiens que
« les éclipses n’ont aucune influence morale ni physique, qu’elles ne présagent ni ne produisent ni contagions, ni guerre, ni accidents funestes ».
Patrick Giani, astrologue et enseignant, tend toujours à les relier à des phénomènes terrestres plutôt négatifs en s’appuyant sur la tradition astrologique antique, et a consacré un livre à l’interprétation des éclipses.
« Il me semble que l’éclipse est un rappel de l’ordre cosmique : collectivement, on est remis sur la voie pour se réharmoniser. Au premier siècle, Claude Ptolémée disait avoir remarqué que les éclipses produisaient leurs effets environ trois mois après le phénomène. Jugez plutôt : quatre mois après l’éclipse totale du 11 août 1999, tempêtes en France, la première sur la même trajectoire que l’éclipse. Deux mois et demi après l’éclipse totale du 21 juin 2001 : attentats du 11 septembre. Deux mois et demi après l’éclipse totale du 4 décembre 2021 : début de la guerre en Ukraine. »
Patrick Giani fait également le rapport entre le seul quatrain daté de Nostradamus, qui annonce pour 1999 « un grand roy d’effrayeur », et l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir à quelques jours de l’éclipse :
« Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui est que cet homme effraie ! »
Si les corrélations sont toujours troublantes, elles n’établissent pas pour autant de causalité ! L’astrologie est un art de l’interprétation des liens entre phénomènes célestes et phénomènes terrestres qui évolue selon les mentalités et les savoirs de son temps.
L’astrologue Tristan Balguerie invite à se méfier de nos propres filtres d’observation, et propose une astrologie qui s’éloigne des phénomènes matériels pour parler d’énergies sous-jacentes, d’évolution spirituelle. Il interprète une éclipse comme un temps fort de l’énergie collective, vécu différemment par chacun selon son thème :
« En astronomie comme en astrologie, on appelle “nœuds lunaires” les points d’intersection du plan de l’orbite de la Lune avec le plan Lune-Soleil. Leur axe nous montre, selon les signes où il se situe, le chemin d’évolution dans lequel on est collectivement inscrits. Au moment d’une éclipse, Terre, Lune et Soleil s’alignent avec cet axe. Leur énergie met fortement l’accent sur le chemin de vie qu’on est en train de traverser : quelles sont les peurs, dans quelle direction on est invités à les transcender. Chaque éclipse est suivie, six mois plus tard, de sa jumelle au nœud opposé. L’éclipse au nœud sud apporte une énergie régressive, réactive, puis l’éclipse au nœud nord une énergie plus évolutive, tournée vers le changement. »
Dans la perspective astrologique de Tristan Balguerie, l’énergie de l’éclipse de Soleil, totale ou partielle, s’exerce sur la planète entière :
« Il se passe certainement des ressentis personnels forts dans le cône d’ombre en particulier : l’expérience physique du phénomène réveille nos peurs instinctives, qui peuvent être observées. »
Et si chacun de nous était invité, à cette occasion, à accueillir l’ombre, à transcender sa peur du noir ? Quel que soit le sens qu’on lui donne, tous les chasseurs d’éclipses vous le diront : l’éclipse totale est une expérience initiatique.
Les prochains rendez-vous
20 avril 2023
Éclipse totale hybride, annulaire, puis totale. Zone de totalité : mer de Timor et péninsule d’Exmouth en Australie.
8 avril 2024
Éclipse totale de la côte est du Mexique à la côte est du Canada.
12 août 2026
Éclipse totale, du Groenland au nord de l’Espagne.
2 août 2027
Éclipse totale, de la côte nord du Maghreb à l’Arabie saoudite (La Mecque) en passant par l’Égypte (point central à Louxor).
Choisir son site et préparer son voyage, les conseils de « chasseurs d’éclipses »
1- Assurez-vous un ciel dégagé : les statistiques météo à la date de l’éclipse permettent d’évaluer la couverture nuageuse selon les régions. Mettez les statistiques de votre côté.
2- Groupez les occasions magiques : une éclipse annulaire pour découvrir les pyramides mayas (octobre 2023) ou l’île de Pâques (octobre 2024), une éclipse totale au-dessus du temple de Karnak ou du sanctuaire de La Mecque (août 2027).
3- Choisissez un site d’observation : dans quelle direction l’éclipse est-elle visible ? À quelle distance de l’horizon ? Quel est le panorama, le relief ? Vaut-il mieux rechercher un peu d’altitude ? Où seront les rassemblements de foule ? Le camping-car est l’ami du chasseur d’éclipse !
4- Équipez-vous : les filtres de protection sont indispensables pour observer l’éclipse. Seule la courte phase de totalité pourra être observée à l’œil nu.
(Source : INREES)