Une modélisation des mouvements des fluides dans le sol suggère que ces motifs étonnants résultent de la compétition entre l’écoulement de l’eau chargée en sel et l’évaporation.
En Bolivie, à 3 600 mètres d’altitude, le désert de sel Salar d’Uyuni offre aux touristes courageux un paysage quasi irréel : un « carrelage » blanc de polygones de sel à perte de vue. Il existe plusieurs autres régions dans le monde où de telles figures géométriques se dessinent spontanément.
Le mécanisme par lequel elles se forment restait cependant inconnu. Mais Cédric Beaume, de l’université de Leeds, au Royaume-Uni, et ses collègues pensent avoir décrypté pourquoi ces polygones émergent dans la nature : il s’agirait de l’interaction du flux descendant d’eau chargée en sel et celui ascendant de l’évaporation.
Les déserts de sel se forment dans des lacs asséchés, situés dans des vallées de zones semi-arides, où l’évaporation de l’eau excède les précipitations. Les sols y sont enrichis en eau via les précipitations sur les montagnes qui les entourent, mais pas directement depuis la surface. Lorsque le lac se vide apparaissent des croûtes de sel qui créent des polygones.
Par le passé, deux tentatives d’explications de ce phénomène avaient déjà été proposées. Dans l’une, la surface qui sèche craquelle, ce qui permet au sel de remonter en surface et de produire des croûtes dans ces interstices.
Dans l’autre, le sel s’accumule en surface, forçant la croûte à une expansion horizontale impossible et provoquant des rides. « Ces deux hypothèses échouent au même endroit : la taille des polygones formés devrait être proportionnelle à l’épaisseur de la croûte, et ce n’est pas le cas », constate Cédric Beaume.
Au contraire, les formes géométriques sont sensiblement de même taille, d’un diamètre qui varie entre 1 et 2 mètres, peu importe la région désertique et la quantité de sel présente.
« Avant notre étude, le problème avait été considéré d’un point de vue de la croûte du lac, poursuit le chercheur, alors nous avons choisi de voir ce qui se passe plutôt en dessous de celle-ci, du point de vue de la dynamique des fluides du sol. »
L’équipe a modélisé le milieu poreux sous la surface du désert, composé de minéraux (divers sels) et d’eau, pour reproduire la convection d’eau à faible et forte salinité. Ainsi, l’évaporation transporte des minéraux vers la surface, ce qui fait grandir la croûte de sel. Et, à l’inverse, le fluide chargé en sel a tendance à plonger sur les bords de ces cellules de convection.
Mais pourquoi les formes sont-elles aussi régulières ? Les cellules convectives dans le lac ont initialement un contour circulaire. Lors de leur croissance, elles interagissent avec les cellules adjacentes, ce qui crée une frontière droite de courants descendants entre elles et mène à l’émergence d’une structure en nid-d’abeilles à la surface.
« Nous avons bon espoir que la dynamique des fluides sous la croûte soit le phénomène dominant pour expliquer la formation des polygones de sel », assure Cédric Beaume.
Les relevés sur le terrain ont renforcé les conclusions de l’étude : dans la modélisation comme dans la réalité, les zones du sous-sol les plus riches en sel se trouvent en dessous des arêtes de sel ; les prédictions sur la taille des polygones sont en accord avec les formes observées sur le terrain.
L’importance des travaux des scientifiques va au-delà de la simple curiosité : il s’agit aussi de répondre à des problèmes de santé. Après le détournement du cours d’une rivière, le lac Owens en Californie s’est asséché.
Or l’arsenic du sol est remonté à la surface dans les croûtes de sel et il peut désormais être transporté par les vents vers les populations. Mieux comprendre cette dynamique donne la possibilité de mettre en place des stratégies de remédiation.
(Source : Science)
