Une maison dite hantée aux 161 pièces, abritant des corridors, des escaliers, des fenêtres parfois donnant sur des murs, telle est la rocambolesque demeure de Sarah Winchester. Un lieu hors du commun pour une femme exceptionnelle.
On la nomme Mystery House, autant pour sa description exceptionnelle que pour sa réputation de maison hantée. À l’origine, elle se nomme Llanada Villa, c’est une bâtisse néo-victorienne pittoresque, construite en suivant les plans étranges et excentriques de Sarah Winchester qui fit l’acquisition en 1886 d’une simple ferme.
« Année après année, Sarah Winchester transforme le modeste ranch en une demeure victorienne de style Queen Anne. Très en vogue aux États-Unis entre 1880 et 1910, ce style ne doit pas grand-chose à l’architecture baroque anglaise du début du XVIIIe siècle […] La façade asymétrique, avec ses deux tours, l’une crénelée de style Tudor, l’autre surnommée the Witch’s Cap (chapeau de sorcière), les corniches, les toits à pignon, certains ornés de frontons, s’inscrivent dans ce courant architectural, tout comme ses galeries couvertes, ses balustrades et ses fenêtres en vitraux. Mais c’est surtout l’absence de symétrie et les écarts de proportions qui font de ce style architectural la matrice de toutes les maisons hantées des États-Unis », raconte Céline du Chéné dans son excellent ouvrage(1).
À la mort de sa propriétaire, la demeure est composée de 161 pièces, de 250 fenêtres, de portes ouvrant sur des murs, d’un escalier qui se termine dans un plafond, de dizaines et de dizaines de pièces vides et minuscules, de 17 cheminées, de placards sans fond ni fin et même d’une fenêtre donnant sur le sol, de piliers à l’envers…
On l’aura compris, cet édifice est farfelu, l’architecture intérieure sans queue ni tête est foisonnante pour une personne vivant seule avec ses domestiques.
Alors, quelle mouche a piqué l’héritière Winchester, veuve et sans enfant, lorsqu’elle commence les travaux de sa maison, presque interminable et interminée ?
La légende veut qu’elle expie la disparition de son mari et de son unique enfant, en représailles des morts commises par la fameuse carabine automatique qui fit la fortune de sa famille, en construisant jusqu’à son décès une maison pour accueillir les esprits défunts.
Mais aussi, en cette époque friande de spiritisme, l’histoire dit que Sarah Winchester communiquait avec les morts depuis son petit cabinet bleu, et tentait nuit après nuit de leur échapper en les piégeant dans sa maison labyrinthe. La réalité est moins mystérieuse, mais peut-être aussi moins macabre. .
Sans doute Sarah Winchester porte-t-elle la culpabilité d’un peuple qui n’a cessé de conquérir ses terres par le sang et les armes, mais rien ne prouve que cette femme, avant tout indépendante et peu encline aux attraits de la société mondaine, ait craint quelque fantôme que ce soit ni cherché à entrer en contact avec eux.
Il reste très peu de traces de cette époque, hormis les témoignages de ses domestiques qui l’affectionnaient beaucoup, l’embauche de nombreux migrants de l’époque, dont certains ont été couchés sur son testament, et enfin la pérennisation du grand hôpital de New Haven, sa ville d’origine, auquel elle fit don d’une partie de sa fortune.
Sans doute très excentrique, en effet, « factrice cheval » à l’américaine, Sarah Winchester emporte son secret architectural dans sa tombe.
« À travers l’édification de sa maison, Sarah Winchester aura redonné un sens à son existence et, à travers le financement d’un hôpital, elle aura lutté pour que personne n’ait à supporter la disparition d’êtres aimés et n’ait à vivre les deuils qu’elle avait traversés », conclut Céline du Chéné.
(1) La Malédiction de Sarah Winchester, Céline du Chéné, éd. Michel Lafon, 2022.
(Source : INREES)