
Les embruns, des gouttelettes arrachées aux vagues par le vent, jouent un rôle inhibiteur dans l’électrification des nuages d’orage et, donc, dans la production d’éclairs au-dessus de la mer.
Zébrures lumineuses et fugaces déchirant le ciel, les éclairs sont l’un des spectacles parmi les plus grandioses offerts par la nature.
Ces gigantesques décharges électriques semblent répondre à un comportement chaotique, en se déclenchant de façon aléatoire sans avertissement ou en traçant des chemins tortueux et éphémères dans le ciel.
Pourtant, les météorologues ont identifié depuis des décennies les mécanismes à l’origine des éclairs et savent, par exemple, prédire la densité moyenne d’éclairs d’un orage en fonction des conditions météorologiques locales.
Mais un mystère persistait : pourquoi deux orages équivalents en matière de précipitations, l’un sur terre et l’autre au-dessus de la mer, ne produisent-ils pas autant d’éclairs ?
Un orage en mer s’accompagne en effet de dix fois moins d’éclairs en moyenne. Zengxin Pan et Feiyue Mao, de l’université de Wuhan, en Chine, et leurs collègues ont montré que les embruns, les gouttelettes emportées du sommet des vagues par le vent, jouent un rôle inhibiteur dans la formation d’éclairs.
De nombreux phénomènes interviennent dans la production des éclairs au sein d’un nuage d’orage.
« Pour que le nuage s’électrise, il faut que des cristaux de glace, de petite taille et qui croissent par diffusion de vapeur d’eau, entrent en “graupel”, des particules de glace assez grosses qui grandissent par givrage, c’est-à-dire par accrétion de gouttelettes d’eau surfondue (de l’eau liquide bien qu’à des températures inférieures à celle de solidification) », explique Christelle Barthe, du laboratoire d’aérologie, à Toulouse. « Du fait de leur différence de taille et de densité, les cristaux tendent à être transportés vers le haut du nuage par les courants ascendants, alors que le graupel tend à tomber : quand les collisions se multiplient, on a ainsi une séparation des charges à l’échelle du nuage, et donc formation d’un champ électrique intense, qui peut devenir suffisant pour déclencher un éclair. »
De nombreux ingrédients peuvent intervenir dans ce mécanisme. Par exemple, les aérosols peuvent servir de noyaux de condensation pour la formation des gouttelettes. Les gros aérosols sont plus efficaces que les petits, qui sont plus nombreux.
Ces derniers, d’un diamètre de moins d’un micromètre, donnent naissance à une grande quantité de fines gouttelettes, transportées en altitude.
Quand ces dernières atteignent des températures où elles gèlent, elles libèrent de la chaleur latente qui nourrit les courants ascendants et les mouvements de convection. Les gros aérosols forment des gouttelettes plus volumineuses, plus aptes à croître par coalescence et à donner des gouttes de pluie qui tombent au sol.
Si ce modèle reproduit correctement la fréquence des éclairs dans les orages continentaux, il n’en est pas de même pour les orages marins, où les éclairs sont moins nombreux que prévu. Zengxin Pan, Feiyue Mao et leurs collègues se sont intéressés à l’impact des embruns d’un diamètre supérieur à un micromètre.
Plus grandes, ces graines de nucléation forment des gouttes qui grossissent vite, aux dépens des gouttelettes d’eau plus petites.
« Cela inhibe la convection, mais aussi le développement de la phase glacée du nuage indispensable à la séparation initiale des charges, indique Christelle Barthe. Sans ce processus d’électrisation lié aux collisions des cristaux de glace et du graupel, il est impossible d’atteindre un champ électrique assez intense pour déclencher un éclair. »
Les chercheurs ont comparé leurs différents ensembles de données sur les éclairs (WWLLN, le World wide lightning location network), sur les pluies (issues du satellite GPM) et sur les aérosols (MERRA-2) et ont constaté que les embruns de plus grande taille sont effectivement corrélés avec un affaiblissement de la convection et donc la formation d’éclairs.
En revanche, les embruns prolongent la durée de la convection, en injectant de l’énergie plus progressivement, mais cet effet est en concurrence avec le fait que ces mêmes aérosols accélèrent la formation de la pluie, qui finalement réduit la durée de vie de la cellule convective.
Comme les petits et les gros aérosols ont des effets opposés, les chercheurs ont quantifié leur impact respectif dans les orages sur terre et en mer. Si les petits aérosols sont présents en grande quantité, la densité d’éclairs est multipliée par 2,6 pour les orages continentaux, et par 22,1 au-dessus des océans.
Si on ajoute à ce dernier cas l’effet des embruns – des aérosols plus gros –, la densité d’éclairs est alors divisée par cinq. Par ailleurs, la densité moyenne d’éclairs observée est environ dix fois plus faible sur mer (avec les embruns) que sur terre.
Ces travaux sur le rôle des aérosols apportés par les embruns résolvent une énigme de longue date. Mais ils serviront aussi à affiner les modèles climatiques, car en produisant davantage de précipitations et en perturbant les transferts verticaux de chaleur, ces particules influent probablement sur la dynamique atmosphérique.
(Source : Science)