L’hypnose est de plus en plus utilisée en médecine, mais aussi en neurosciences : des chercheurs ont précisé les mécanismes cérébraux de la perception auditive grâce à une surdité induite par hypnose.
La suggestion hypnotique est très utilisée en médecine et a fait ses preuves pour soulager la douleur lors d’interventions médicales ou dans le contexte de maladies chroniques, ainsi que pour réduire le stress. Elle est aussi un outil pour explorer les mécanismes de la conscience.
Par exemple, l’hypnose permet d’induire volontairement chez un patient certains changements perceptifs, comme les hallucinations visuelles et auditives.
Grâce à un suivi de l’activité cérébrale, Esteban Munoz Musat et ses collègues, au sein d’une équipe menée par le professeur Lionel Naccache, à l’Institut du cerveau Inserm/CNRS, à Paris, ont mis au jour le mécanisme cérébral de la perception auditive suite à l’induction de surdité par hypnose.
Les chercheurs ont provoqué une surdité temporaire chez une femme en bonne santé. Ils ont enregistré l’activité cérébrale de cette volontaire en condition normale et en situation de surdité, puis ils ont reconstitué les étapes de sa perception auditive par électroencéphalographie (EEG), une technique permettant de suivre l’activité cérébrale avec une résolution temporelle de l’ordre du millième de seconde.
Chez un sujet humain sans pathologie, les étapes de la perception auditive sont déjà bien connues. Dans l’oreille interne, le son perçu entraîne des variations de pression de l’air qui sont converties en signal électrique.
Ce signal est acheminé jusqu’au cortex auditif et déclenche une série d’événements détectables par imagerie cérébrale. Tout d’abord, les régions auditives dites « primaires » établissent une carte mentale des caractéristiques du son perçu, un phénomène identifié par l’enregistrement d’une onde cérébrale dite P1. Survient ensuite une onde dite MMN, liée à l’analyse de la cohérence acoustique du son perçu par rapport au son théoriquement attendu.
Alors que les deux étapes précédentes se produisent de manière inconsciente, la dernière étape correspond à la prise de conscience du son perçu par le sujet : elle se caractérise par l’onde dite P300. À ce stade, la représentation du stimulus auditif se propage dans le réseau cérébral.
Durant la surdité hypnotique, Lionel Naccache et ses collègues ont observé que les deux premières étapes de la perception d’un stimulus auditif étaient inchangées par rapport à la situation normale où la patiente n’était pas sourde.
En revanche, ils ont remarqué une disparition totale de l’onde P300. L’induction hypnotique aurait ainsi inhibé l’étape de la prise de conscience subjective sans affecter l’intégration des événements inconscients de la perception auditive.
Cela suggère que l’individu sourd a mis en place un mécanisme bloquant le passage de l’information auditive à l’espace conscient.
Ces observations confirment les hypothèses que l’équipe avait formulées en s’appuyant sur la théorie de l’« espace de travail neuronal global conscient », développée depuis 2001 par Stanislas Dehaene, Jean-Pierre Changeux et Lionel Naccache.
« Cette théorie stipule que la prise de conscience d’une information correspond à son accès à un vaste réseau d’aires cérébrales engagées dans une forme de conversation complexe et cohérente, et que l’onde P300 est une signature de cet accès à l’espace de travail global. En montrant que l’absence de conscience des sons était associée spécifiquement à l’abolition de la P300, nous avons pu vérifier cette prédiction », souligne Lionel Naccache.
En outre, l’équipe suggère que le siège de cette inhibition se situe dans une région du lobe frontal nommée « cortex cingulaire antérieur », une structure cruciale dans le contrôle inhibiteur et la détection de conflits entre différentes réponses comportementales.
Les résultats de cette étude, loin d’être applicables à l’ensemble de la population s’ils ne sont pas effectués sur un large groupe d’individus, apportent toutefois de nouvelles clés sur les théories de l’accès aux états conscients.
Ils ouvrent notamment la possibilité d’envisager des thérapies afin de soigner certains troubles neurologiques grâce à l’induction hypnotique.
(Source : Science)